Loin des salles de cinéma, la 30e édition des Journées cinématographiques de Carthage, édition feu Nejib Ayed, a débarqué, dimanche dernier, à la prison civile de la Mornaguia, à l’ouest de la capitale.
Passé en avant-première, samedi, à la Cité de la Culture, où le tapis rouge s’est déroulé aux invités des JCC, le film de Nouri Bouzid « les épouvantails » a, cette fois-ci, été projeté en milieu carcéral. Sous une tente géante, placée derrière les verrous, plus de 600 détenus, choisis selon des critères disciplinaires, ont pu le regarder, en toute liberté. Et près de 6 mille autres l’ont déjà suivi depuis leurs cellules. Ainsi commençait la 5e édition des JCC dans les prisons, tout en rendant un hommage posthume à Nejib Ayed et à Chawki Mejri, deux vedettes du cinéma tunisien qui nous ont quittés tout récemment. A leur mémoire, deux portraits à leur effigie ont été dessinés par des prisonniers si talentueux et passionnés.
En fait, l’initiative revient à son fondateur et ex-directeur des JCC, Brahim Letaïef, qui y était lui aussi présent, aux côtés des parrains de l’idée depuis 2015, à savoir la direction générale des prisons et de la rééducation (Dgpr) et l’Omct (Organisation mondiale contre la torture). Le réalisateur de film et l’équipe l’accompagnant n’ont pas manqué à l’occasion pour revoir leur produit autrement. Aux yeux d’un public certes privé de sa liberté, mais qui a, pour une fois, droit à l’expression et au sens critique. Peu avant la projection, Nouri Bouzid a voulu mettre le public dans le bain, lui disant que tout ce qu’il allait voir et sentir n’est que le reflet de soi-même. Donc, un film qui illustre sa propre vision des choses et ne répond qu’à ses profondes convictions. Réalisateur, scénariste- dialoguiste, comme il se présente, Bouzid lui a rappelé un pan de sa vie carcérale, alors qu’il était un des militants du mouvement « Perspectives », fin des années 60. « Les épouvantails », un film écrit et tourné, sous le règne de la troïka en 2013, a traité du spectre de la mort qui nous vient de l’Orient (Dâech) et le réseau du jihad sexuel qui emportait des filles vers les zones de conflit, en Syrie. L’histoire jugée inspirée du vécu tunisien se résume ainsi : « En 2013, Zina et Djo reviennent en Tunisie du front syrien où elles ont été séquestrées et violées. Nadia, avocate, les accompagne dans leur longue reconstruction et demande à Driss, jeune homosexuel, d’aider Zina en espérant que leur rencontre, leur permettra d’ouvrir leurs boites noires.. ». Les séquences, courts, ont été prises en gros plans serrés, l’image sombre et l’ambiance étant si mélancolique qu’il pousse au suicide. Et le film de finir par ouvrir des horizons flous, sans fin heureuse.
Ils ont leur mot à dire
Parole, ensuite, donnée aux détenus. Le débat n’était pas au goût du réalisateur qui a tenté de leur expliquer ses intentions à peine voilées, mais aussi ses positions à l’égard de l’islam, de l’islamisme et de la place de la femme dans la société tunisienne. Pour lui, l’homosexualité est tolérée, alors que la virilité n’est point liée à l’homme dans sa dimension physiologique pure et simple. La virilité est plutôt un comportement, un acte de bravoure et humaniste. Idem, le viol étant toujours inadmissible. « Les épouvantails » est l’un des sept films à voir dans sept de nos établissements pénitentiaires à savoir Mornaguia, Borj Erroumi (Bizerte), Saouaf (Zaghouan), Kasserine, Sidi El Heni et Messaadine (Sousse) et à la prison des femmes à La Manouba. Enfin, le cinéma est pour tout le monde.
Etant à sa cinquième année, l’expérience des JCC dans les prisons a été fort appréciée. Détenus, cadres et agents de la Dgpr souhaitent les voir continuer. « Une telle initiative a créé une dynamique et fait sortir la population carcérale de sa prison », déclare M. Sofiène Mezghich, porte-parole de la Dgpr. Mmes Chiraz Laâtiri et Gabriel Reither, respectivement directrice générale du Centre national du cinéma et de l’image (Cnci) et directrice de l’Omct à Tunis, étaient de même avis.